Certains veulent que les choses changent, que les inégalités se réduisent et que la santé de notre planète soit au cœur des futurs projets. D’autres préfèrent jouer aux apprentis sorciers en administrant à notre planète, qu’ils ont contribué à rendre malade, un médicament expérimental sans se pencher sur la cause du mal.
De quoi s’agit-il ? Un laboratoire de l’université d’Harvard travaille sur un projet de géo-ingénierie c’est-à-dire la modification artificielle du climat dans le but de gérer la température de la planète. L’idée est de disperser dans la haute atmosphère (de 10 à 50km au-dessus de la surface terrestre) des particules chimiques (dioxyde de soufre(SO2), carbonate de calcium(CaCO3) ou des oxydes d’aluminium) pour bloquer une partie des rayons du soleil. Au départ, ils se sont inspirés de l’éruption du Mont Pinatubo aux Philippines en 1991 qui avait émis environ 20 millions de tonnes de dioxyde de soufre et refroidi la planète d’environ 0,5°C pendant 18 mois. Ils ont donc envisagé de copier ce modèle et de pulvériser du dioxyde de soufre mais se sont rendu compte des effets potentiellement désastreux sur la couche d’ozone et sur l’acidification des océans pouvant aller jusqu’à peut-être perturber le jet-stream (ils avouent ne pas tout comprendre des effets en aval). Ils n’ont toutefois pas abandonné cette piste mais effectueront un test grandeur nature à base de carbonate de calcium jugé moins efficace mais peut-être moins dangereux. Ah désolé, on ne doit pas parler de test mais d’expérience scientifique, en effet la Convention sur la biodiversité (traité international adopté lors du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 et signé par 168 pays) interdit ce genre de pratique sauf pour des expériences scientifiques à petite échelle. Alors voilà nos deux apprentis sorciers, Frank Keutsch (un chimiste) et David Keith (un physicien) qui ont trouvé 12 millions de $ auprès de philanthropes dont Bill Gates pour mener leur étude, s’apprêtent à sortir de leur laboratoire pour mener des expériences à 20 000m d’altitude dans le sud-ouest des Etats-Unis.
Ce projet s’appelle SCoPEx pour Stratospheric Controlled Perturbation Experiment. La seule chose qui semble contrôlée c’est la pulvérisation de carbonate de calcium effectuée à partir d’un ballon dirigeable sur des trajets de l’ordre du kilomètre. Ensuite une batterie de capteurs embarqués effectuera des mesures pour voir ce qui se passe. Ils ignorent totalement ce que cela peut donner car cet élément chimique n’existe pas naturellement dans la stratosphère. L’expérience est de taille modeste même si elle coûte 3 millions de $. Le projet de passage à la taille planétaire est envisagé et ne couterait que de 1 à 10 milliards de $ par an. C’est ce qu’a confirmé le GIEC dans son rapport du mois dernier, suggérant qu’une flotte d’avion volant à haute altitude pourrait déposer suffisamment de soufre pour mener à bien le projet global. Le coût est annuel car il s’agit en effet d’un « médicament » non curatif à prendre à vie. Les effets secondaires supposés vont d’une baisse généralisée de la production agricole mondiale à un changement radical du régime des pluies. Quand lors d’une interview on demande à David Keith s’il envisage vraiment de donner une dimension planétaire à son projet fou, il répond que oui et que lui et son équipe n’ont pas encore rencontré de protestation publique ni d’opposition directe alors il continue. Sa seule peur réside dans l’influence que pourrait avoir des environnementalistes sur les agences de financement.
Ce projet pose plusieurs problèmes. Le premier est qu’il vise à contrebalancer les effets du réchauffement climatique sans s’attaquer à ses causes et pourrait donner l’illusion que tout peut continuer comme avant. Le deuxième est que nous n’avons qu’une terre et que se lancer dans des actions expérimentales à taille planétaire pouvant impacter l’ensemble du vivant est délirant. Le troisième est que la concentration des richesses (1% de la population mondiale possède plus de 50% des richesses terrestres) permet aujourd’hui à des individus richissimes de pouvoir mener des projets impactant l’ensemble du vivant via une appropriation du domaine spatial qui auparavant semblait être géré par des organismes nationaux ou transnationaux (Nasa, ESA) et qui se retrouve de plus en plus à la merci de fonds privés.